Rubriques de Philippe LORMANT - Bridgeur n° 634 - 15 octobre 1991
Ne brûlez pas le stop !

Philippe Lormant, arbitre national,
directeur national de l'arbitrage
 


"Si la loi s'applique à tous, elle doit être accessible à chacun"

La présente rubrique n'est pas à proprement parler, une rubrique d'arbitrage, nous n'y abordons pas les cas complexes d'application des lois. Nous avons demandé à Philippe Lormant, lauréat du concours d'arbitrage, de donner aux joueurs quelques conseils quand ils se trouvent confrontés à certaines situations. En particulier, si vous débutez dans la compétition, vous avez intérêt à connaître certaines dispositions du Code, pour ne pas perdre, "sur le tapis vert", des levées que vous auriez gagnées à la table.
 

Ne brûlez pas le stop

Carton rouge!
La 1ère fois qu'on me l'a "gigoté" sous le nez, j'ai bien cru que l'on me renvoyait aux vestiaires ! Un arbitre obligeant (pléonasme n'est ce pas ?), m'a rassuré et expliqué : "C'est simple : rouge pour stopper, et vert pour passer". Les nomothètes du bridge auraient-ils, aussi, écrit le Code de la route ?
Toujours est-t-il, qu'aimable et pédagogue, l'arbitre (re-pléonasmes?) m'a donné, en fin de tournoi, les précisions voulues.

  1. Enchère à saut : stop obligatoire
     

VOUS ne devez, vous ne pouvez pas l'ignorer. AVANT de produire une enchère à saut (même à l'ouverture), vous devez prévenir votre adversaire de gauche, en exposant sur la table le carton rouge STOP.

Le règlement des compétitions de la FFB le stipule expressément, et tous les licenciés reçoivent ce règlement. Dès lors, pas question d'invoquer l'ignorance ou de plaider que le Code est de lecture malaisée. Le texte vous est envoyé à domicile, il est clair, court, non ambigu "Toute ouverture au-dessus du palier de 1, ou toute enchère à saut doit être précédée du STOP".

Pas d'équivoque possible et plus facile à comprendre qu'un vers de Mallarmé ou une analyse de Pierre Schemeil, non ?

  1. Enchère à saut : pause obligatoire
     

IL FAUT aussi le savoir : quand votre adversaire de droite exhibe une enchère à saut vous devez marquer une pause. Là aussi le texte est clair : "Le joueur placé à gauche de celui qui vient d'enchérir à saut, DOIT observer une pause de 5 à 10 secondes, qu'il y ait eu ou non procédure de STOP"
Il n'y a aucune exception.

  1. Le stop n'a pas été marqué.

Qu'importe ! Vous devez quand même marquer la pause.

  1. Vous ne faites pas une enchère, vous passez.

Qu'importe encore ! Le texte dit "avant toute déclaration" et non pas avant toute enchère*. Même avant de passer, la pause est donc bien obligatoire.

* Déclaration : toute enchère, passe, contre, surcontre. Enchère : l'engagement d'un contrat. (ex :1 ou 1SA etc.)

  1. L'adversaire a retourné le carton STOP.

Qu'importe enfin ! Vous devez respecter la pause de 5 à 10 secondes. Même dans le cas ou l'auteur du STOP retourne son carton immédiatement, un passe ou un contre consécutif "dans la foulée" peut-être la cause d'une information illicite.

  1. Vous n'avez ni chronomètre ni clepsydre.

Le bel argument que voilà I (déjà entendu, pourtant!).
Ce que l'on vous demande, c'est de marquer clairement la pause et, par là, de vous interdire toute déclaration "dans la foulée". Personne n'ira vous chronométrer et vérifier si la pause a durée 4 ou 11 secondes. Vous êtes bon joueur, soyez de bonne foi.

  1. Faut-il retourner le carton stop ?
     

Aucune importance ! C'est une erreur courante de croire que le joueur de gauche doit déclarer dès que le "stoppeur" a retourné son carton et, a contrano, il ne convient pas d'aflendre qu'il retourne le STOP pour vous décider à enchérir. Règlement merci. Il n'appartient pas à votre adversaire de choisir le moment où vous devez produire votre déclaration. On vous affirmera souvent le contraire : c'est FAUX.

L'auteur de l'enchère à saut doit prévenir, le joueur à sa gauche doit marquer une pause limitée dans le temps, un point c'est tout.

  1. Défauts de procédure : Conséquences possibles
     

L'objet de Sed Lex n'est pas de vous faire pénétrer dans les méandres, parfois tortueux, des raisonnements des arbitres (pléonasme ?) qui peuvent les amener à attribuer telle ou telle marque ajustée. Si vous ne respectez pas l'une des obligations mentionnées ci-dessus, vous risquez d'en subir les conséquences. Voici deux exemples réels :

  1. Omission du STOP

Epreuve de Comité
Paires Honneur 1991

Ouest, donneur, a ouvert de 3, sans marquer le STOP, et le passe de Nord a ete immédiat (faits établis et non contestés). Est a dit 4 et Sud a... passé.

Résultat 4 - 1 et 100 en Nord-Sud. La fiche ambulante égrenait une litanie de 500 en Est-Ouest (4 contré - 2) et un chapelet de 200 dans la même ligne (4 contré - 1 ou 4 - 2).

10 6 4 2
8 6
R 5 4
D 7 6 3
N

O             E

S
V 9 8 5 3
7
A D 10 3
A R 8

Au vu de la main de Sud, qui n'avait pas réveillé, Ouest a appelé l'arbitre et a argumenté : "Nord a passé immédiatement et n'a pas marqué de pause, c'est pourquoi Sud a passé, empochant un top injustifié".

Nord s'est expliqué : Au vu de ma main, je m'apprêtais à passer, quelle que soit la déclaration d'Ouest. En fait, j'ai été surpris, car Ouest ne m'a pas prévenu qu'il allait faire une enchère à saut. J'ai donc tout naturellement posé mon carton passe, sans réflexion."

L'arbitre a estimé qu'il y avait un lien direct entre l'infraction de Nord (absence de pause) et l'infraction d'Ouest (absence de Stop), il a donc débouté Ouest et maintenu le score.

En l'occurrence, l'arbitre a été clément envers Nord-Sud, mais un passe "foulée" consécutif à un STOP aurait certainement entraîné une conclusion différente.

  1. Omission de pause

Ouest donneur. N/S vulnérables
Festival 90, Vichy

A V 10 9 3
D 7
A 10 6 4
V 5
N

O             E

S
-
V 8 3 2
R 7 2
R 7 6 4 3 2

Ouest : STOP 3
Nord : passe (sans pause)
Est : passe et Sud : contre !

Contrat final : 3 contré

Résultat : - 3 et 500 N/S

En fin de coup, Ouest a appelé l'arbitre, l'informant qu'en dépit du carton STOP, Nord avait passé sans marquer de pause.
Il émettait donc des réserves sur le réveil par contre, de Sud.

L'infraction de Nord était établie (défaut de pause). Pour Sud, ce passe immédiat révélait soit pas de jeu en Nord soit ... du Pique.

Compte tenu de la séquence et de sa main, l'option était évidente. L'arbitre a estimé qu'il y avait pu (c'est suffisant) y avoir un lien entre l'infraction (le passe immédiat) et l'action choisie par Sud (le contre).

Il a ramené la marque à 3, non contré, soit 150 pour Est-Ouest.

Ces deux exemples vous montrent que vous avez intérêt à respecter la procédure. Pour autant, ne croyez pas qu'une irrégularité de cet ordre de votre adversaire vous rapportera automatiquement un top. Il appartient à l'arbitre consciencieux (pléonasme évident cette fois-ci) d'établir :

  1. L'infraction
  2. L'existence d'un dommage.
  3. Un lien direct entre l'infraction et le dommage, créant le préjudice et donnant donc droit à réparation.