Rubriques de Philippe LORMANT - Bridgeur n° 714 - 15 janvier 1999
Le Code 1997 - Voir sans savoir

Philippe Lormant, arbitre national,
directeur national de l'arbitrage
 


"Si la Loi s'applique à tous, elle doit être accessible à chacun"

En flanc, une Dame chute, s'exhibe sur la table...
Il ne s'agit que de bridge et comme nous sommes dans la période du jeu de la carte, elle sera, jargon du code et des arbitres oblige, pénalisée principale.
 

Faute légère, lourde peine

Simple maladresse, faute légère, qu'importe, pénalité lourde souvent disproportionnée.

1. La carte reste exposée: il y a obligation de la jouer à la première occasion...

  1. soit pour fournir à la couleur
     

(Dans chacun des 3 cas A, B et C, Sud, déclarant au contrat de 3 Sans-Atout, a réalisé six levées et devrait normalement chuter).

A V 10 6 3
-
A
R D 8 7
-
N

O             E

S
V 10
-
-
D 9 4
-
V 10
6 5
5

Est, maladroit, laisse choir la Dame de Trèfle face visible. Il sera dans l'obligation de la fournir si l'on joue de cette couleur. 5 de Trèfle pour l'As et la Dame...
3 Sans-Atout plus 2, bien mérité (?)

  1. soit pour défausser
     
V 10 6 3 2
-
A
R D 8 7
-
N

O             E

S
V 10
-
-
D 9 4
-
V 10
A 5
5

Diagramme légèrement modifié. Sud dispose de l'As de Carreau mais le mort a perdu l'As de Trèfle. La situation du déclarant n'est guère plus enviable ! Est, toujours aussi obligeant, expose Argine.

Si le déclarant tire l'As de Carreau, Est devra défausser la Dame de Trèfle (!).Le mort reprendra des couleurs...
3 Sans-Atout à nouveau tout autant mérité!

  1. soit pour attaquer une levée
     
A V 10 3 2
-
A
R D 8 6
-
N

O             E

S
V 10
-
A
D 9
-
V 10
5 3 2
-

L'As de Carreau est cette fois-ci en Est et Sud ne communique plus avec le mort. Comme d'habitude, Est a joué les roues de secours en laissant tomber la Dame de Trèfle.
Carreau pour l'As, Est devra attaquer de la Dame de Trèfle à la levée suivante. Pas de chance cette fois-ci, il faudra vous contenter de 3 Sans-Atout plus un !

2. Les choix du déclarant quand le flanc a la main.

A 4 3
R 7 6 5
R V 5 2
4 2
10 9 6 2
4
9 7
R D 10 9 8 7
N

O             E

S
V 8 7
D V 10 8 3 2
10 8
A 5
R D 5
A 9
A D 6 4 3
V 6 3

Sud négocie 3 Sans-Atout.

Ouest, qui n'ignore rien de la rubrique mensuelle des entames, sélectionne le Roi de Trèfle, mais dans sa hâte il fait tomber (une habitude pour elle) la Dame de Trèfle.

Si Est gobe le Roi de l'As, le déclarant pourra lui interdire de rejouer Trèfle. 3 Sans-Atout plus un, donc. Si Est laisse Alexandre faire la levée, Ouest devra jouer la Dame de Trèfle : 3 Sans-Atout plus 2...

Cette possibilité pour le déclarant d'imposer ou d'interdire au partenaire du joueur qui a une carte pénalisée d'attaquer de la couleur est exorbitante. Zia Mahmood, dans une récente interview, critiquait cette disposition du code. On le comprend. Je l'approuve et on pouvait espérer que le code 1997 modifierait cette disposition. Comme dans bien d'autres cas, la connaissance de la carte exposée prématurément (ici la Dame de Trèfle) pourrait n'être considérée que comme une information non autorisée pour le partenaire. Ce dernier devrait seulement éviter d'en tenir compte. L'arbitre apprécierait en cas de contestations.

Code 1997: ça se complique !

Pour sévères qu'elles soient, les dispositions ci-dessus ont au moins l'avantage d'éviter discussions et autres commissions d'appel. Elles s'appliquent de piano. Le texte de 1997 n'est pas vraiment modifié, mais le législateur a toutefois ajouté une petite phrase qui a arraché à Ton Kooijman, nouveau président de la Commission mondiale des lois, le commentaire suivant "Commissions d'appel (et arbitres) bon courage !". Voici ce nouveau texte :

"L'obligation pour le joueur fautif de jouer la carte (pénalisée) est pour le partenaire une information autorisée mais toute autre information provenant du fait qu'il a vu cette carte est non autorisée".

On comprend Ton Kooijman...

Quelques exemples apporteront peut-être un éclairage sur cette phrase. Je rappelle que si ce partenaire est en main (ce n'est pas forcément le cas), il est soumis au choix du déclarant avant d'attaquer la levée suivante. On peut lui imposer ou lui interdire d'attaquer de la couleur de la carte pénalisée, on peut aussi le laisser libre de jouer la carte de son choix et dans ce seul dernier cas, la carte exposée prématurément par son partenaire reste pénalisée.

Le droit de savoir

R 5
A
R V
-
3
-
10 6 4 2
-
N

O             E

S
-
2
A D 7
D
A 6
3
9 8
-

Ouest est en main.

Sud déclarant. Contrat 4 Piques. Sud a réalisé six levées.

Normalement, le contrat sera battu de deux levées, Est-Ouest ayant encore droit à deux levées de Carreau et à la coupe Cœur, si Ouest joue Carreau. Mais comme il se doit, Est a fait tomber la Dame de Trèfle. Il serait idiot pour le déclarant d'obliger ou d'interdire à Ouest de jouer Trèfle... Il laisse donc le choix de l'attaque, la Dame de Trèfle reste pénalisée.

A ce stade, Ouest sait et a le droit de savoir que si son partenaire prend la main, il sera obligé de jouer la Dame de Trèfle, dans coupe et défausse, ce qui aura pour vertu de livrer le contrat.

Abandonnant l'espoir de couper un Coeur, il jouera le 3 de Pique sur lequel Est devra défausser sa Dame de Trèfle.

Le flanc fera alors deux levées à Carreau pour moins un. De même :

10 5 4 3
10 6 4 2
N

O             E

S
A D 7

Ouest est à l'entame contre le contrat de 4 Cœurs.

Après l'As de Carreau, il tire le Roi, mais fait tomber le Valet qu'il présente (obligé) pour la troisième levée.

Après avoir coupé, son partenaire aura le droit de savoir que le jeu du Valet était obligé et qu'il n'est pas une indication préférentielle pour un retour Pique.

Le droit de voir, non de savoir

10 7 5
-
R 9 8 2
N

O             E

S
R
V 4 3
A D 6

Un joueur français (NDLR. Pudeur de l'auteur, il s'agit de son fils, Yves) a posé à Lille le piège suivant au flanc. Contre 3 Sans-Atout, Ouest a entamé du 2 de Carreau. Le 5 a été appelé du mort et le déclarant a pris le Valet de... l'As ! Il a rejoué ultérieurement le 6 de Carreau et Ouest, persuadé que son partenaire possédait la Dame, a fourni le 8. Non seulement le déclarant a gobé la levée du 10 mais il s'est créé la rentrée au mort qui lui était indispensable pour gagner son contrat.

Dans le même diagramme, je vous propose la séquence suivante (rien à voir avec celle de Lille).

Sud Ouest Nord Est
1 passe passe
2 SA passe 3 SA fin

Supposons le Roi de Pique exposé en Est.

On connaît alors 4 points H chez Est (Roi de Pique et Valet de Carreau). Après avoir passé sur l'ouverture d'1 , il ne peut posséder en plus la Dame de Carreau.

A Lille, le piège a fonctionné, ici il n'aurait aucune chance de réussir. Manifestement le flanc a pu tirer avantage de son irrégularité. Mais si Ouest met le Roi de Carreau... alors oui, arbitre, bon courage si vous décidez de rectifier. Les cas d'application de ce nouveau texte du code sont très nombreux. Leur résolution suscite tellement de questions que la Commission des lois est revenue sur ce point le 24 août à Lille.

Voici une de ses interprétations, grâce à un exemple.

Est a l'As de Pique de pénalisé. Ouest possède R D V 2 dans cette couleur. La commission précise qu'il pourra fournir la carte de son choix et qu'il n'est pas obligé de fournir un honneur puisque son partenaire devra jouer l'As.

Mais comment appréciera-t-on le cas suivant :

D x
R x x x
N

O             E

S
-
3

Contrat à l'atout, Cœur par exemple. Le déclarant joue le 3 de Pique. Joue-t-il sous son As ? On mettra parfois (souvent ?) le Roi. Ici aucun risque de jouer petit si le partenaire a l'As de Pique pénalisé. Il a le droit de le voir. A-t-il le droit de savoir qu'il était en Est ?

Certes, l'arbitre ne sera pas toujours sans défense. Il pourra attribuer une marque ajustée s'il estime qu'Est, au moment où il a exposé l'As de Pique, aurait pu savoir que son camp pourrait tirer avantage de cette irrégularité. Ce ne sera pas forcément le cas.

Je ne suis, hélas, pas certain, par ces quelques exemples, d'avoir rendu "la Loi accessible à chacun".