Rubriques de Philippe LORMANT - Bridgeur n° 721 - 15 septembre 1999
Le Code 1997 - Comprenne qui voudra...

Philippe Lormant, arbitre national,
directeur national de l'arbitrage
 


"Si la Loi s'applique à tous, elle doit être accessible à chacun"

Pourquoi faire simple quand on peut compliquer ? Prenez la renonce : une irrégularité courante et triviale, non ? Son traitement ne devrait-il pas l’être aussi ?

 

On sait qu’elle peut être sanctionnée d’une ou deux levées de transfert. Si le camp non fautif est alors insuffisamment dédommagé, l’arbitre est autorisé à rétablir l’équité, c’est-à-dire à attribuer la marque correspondant à celle qui aurait été obtenue, en l’absence de renonce. Règle un peu complexe, pont aux ânes des arbitres, règle parfois injuste ou étonnante que beaucoup de joueurs dénoncent puisqu’elle permet de " gagner le grand chelem à Pique avec l’As d’atout chez l’adversaire " (Pourquoi toujours les Piques, à propos ?). C’est un peu vrai, mais il n’y a sans doute pas de solution parfaite et " toute faute doit se payer ".

Le législateur a d’ailleurs voulu laisser une chance au joueur fautif. Pour que cette irrégularité entraîne une telle sanction, encore faut-il que la renonce soit " consommée ". C’est-à-dire que votre partenaire ou vous ayez rejoué pour la levée suivante avant que la renonce ne soit constatée. A défaut. la renonce est corrigée.

On aurait pu en rester là :

Le code 1997 vient d’inventer la renonce - consommée - corrigée, à moins que vous ne préfériez l’appeler la renonce - corrigée – consommée (Pas tout à fait une invention car on trouvait déjà cette curiosité dans une loi concernant les droits du mort.)

Actualité oblige, je vais être obligé d’être un peu technique et mon propos s’adresse surtout aux arbitres, qui doivent avoir connaissance d’un communiqué publié à Malte par G. Endicott sous l’autorité de T. Kooijman, président de la Commission Internationale des Lois.

Pour les joueurs qui s’égareraient dans ces lignes, j’insisterai pour qu’ils retiennent deux choses

  1. Si vous êtes en défense et que votre partenaire défausse, restez de marbre. En cas de renonce, l’étourderie de votre partenaire sera sans doute pénalisée, mais si vous vous manifestez, les conséquences risquent fortement d’être aggravées.
  2. Si, en présence d’un tel cas, vous voyez un arbitre hésiter, voire se méprendre, soyez compréhensif. Je vous affirme, ô Lucifer que celui qui lui jettera le premier étui, celui-là ne mérite pas d’être à une table de bridge.

LA RENONCE DU FLANC SIGNALEE PAR LE PARTENAIRE
LE COMMUNIQUÉ INTERPRETATIF DE MALTE

Etonnant, regrettable peut-être, mais l’application du code est sur ce point différente selon les continents. Vous êtes en défense, vous défaussez, votre partenaire vous dit " plus de Pique ? ". En Europe, c’est une irrégularité, aux Etats-Unis, non. Cette interdiction qui existe pour nous depuis une dizaine d’années, n’est pas sans conséquence.

Jugez-en :

D
6 5 4
-
2
-
A D 2
-
7 3
N

O             E

S
V
7 3
-
5 4
-
R V
-
A R D
  1. La renonce n’est pas signalée

Vous êtes en Ouest. Sud joue 4 Piques et il a la maladresse d’être en main alors que vous avez déjà engrangé trois levées. Le déclarant joue As puis Roi de Trèfle et vous alliez déjà inscrire deux levées de chute quand votre partenaire trop pressé, coupe le Roi de Trèfle (!) et rejoue Cœur. Vous réalisez trois levées (Valet de Pique et deux Cœurs), mais l’arbitre appelé à la fin de la donne en transfère deux. Une de chute quand même, vous avez frisé la correctionnelle.

  1. Le partenaire dit " Pas de... ". Ancien traitement

Il vous arrive peut-être de compter les cartes. Quelle erreur ! Sans cela vous n’auriez pas dit à votre partenaire " Mais tu as encore du Trèfle ". Jusqu’à l’application du Code 97, l’arbitre appelé vous aurait expliqué que vous n’aviez pas le droit de signaler ainsi la renonce, que du coup votre partenaire perdait le droit de corriger (ce qu’il aurait fait en revanche si de lui-même il avait constaté son erreur) et qu’en conséquence, la renonce était consommée et que le jeu continuait ainsi.
Donne terminée, vous auriez réalisé trois levées, la coupe du Roi de Trèfle et deux Cœurs, mais là encore l’arbitre aurait transféré deux levées, soit 4 Piques moins un.
Votre manifestation intempestive n’aurait eu pour seule et éventuelle conséquence que d’empêcher votre partenaire de corriger, s’il avait constaté son étourderie à temps.

  1. Le Code 97

La même erreur aujourd’hui risque de vous coûter beaucoup plus cher. Le nouveau code dit en effet que dans ce cas

  1. La renonce est corrigée.

  2. L’arbitre appliquera les pénalités " comme si elle avait été consommée ".

Correction réelle, consommation virtuelle, " c’est frustrant " dirait une jeune épousée !

Si vous êtes en Ouest dans le diagramme précédent, en matière de frustration vous allez être servi. Voici l’interprétation de la loi que G. Endicott, sous l’autorité de T. Kooijman, vient de publier à Malte sous forme de communiqué officiel dans le Daily Bulletin. Pour être honnête, le communiqué précise " interprétation provisoire ". En fait, les arbitres ne savaient pas trop comment lire ce texte, et lors d’un débat sur Internet auquel participait un grand nombre d’arbitres renommés du monde entier, il ne fut pas possible d’obtenir un consensus (ce n’est, hélas, pas le seul cas). A Malte, il serait apparu que les membres présents de la commission des lois ne " lisaient " pas pareil non plus (ce n’est pas non plus le seul cas, hélas). Une mini réunion fut nécessaire pour pouvoir répondre à des arbitres qui se faisaient pressants et exigeaient qu’on leur dise ce qu’il fallait faire dans un tel cas.

Reprenons notre diagramme :

D
6 5 4
-
2
-
A D 2
-
7 3
N

O             E

S
V
7 3
-
5 4
-
R V
-
A R D

Contrat : 4 Piques. Main en Sud. Est-Ouest ont déjà réalisé trois levées.
Sud joue As de Trèfle puis Roi de Trèfle mais Est coupe le Roi de Trèfle (renonce).
Quand votre partenaire coupe le Roi de Trèfle, vous lui dites " mais tu as encore du Trèfle ! ".
Sud, logiquement, appelle l’arbitre qui fera corriger la renonce.

Ouest fournit donc le 4 de Trèfle et le Valet de Pique reste sur la table, devenant carte pénalisée. Sud joue Dame de Trèfle, Est coupe du Valet de Pique (obligé d’ailleurs) et son camp a encore droit à une levée de Cœur. Soit 4 Piques moins deux à ce moment-là. L’arbitre transférera deux levées (oui. je confirme !), la levée de la renonce que vous n’avez pas faite mais que vous auriez gagnée " si la renonce avait été consommée " et une levée classique puisque votre camp a gagné des levées après la renonce. Conclusion 4 Piques égal. C’est à mon avis (je n’engage que moi) incohérent et pour tout dire, incompréhensible. Le flanc cette fois, ne comptabilise pas pour lui la levée de la renonce, mais on lui assène quand même deux levées de transfert. J’oubliais de surcroît, on lui pénalise une carte (ici sans incidence mais ce n’est pas toujours le cas) et puis quoi, encore ? Dans le code 2007, lui demandera-t-on en sus sa montre et son portefeuille ?

Loi de compromis sans doute, aux Européens on a concédé que le flanc ne pouvait pas signaler la renonce, aux Américains qu’on corrigeait quand même cette renonce. L’objet même du Code nous parle d’équité, de juste réparation d’un dommage causé par une irrégularité. Où est l’équité dans cette exécution en règle mais surtout où est le bridge ?

Les règles du jeu de bridge sont simples, pourquoi les complique-t-on à ce point ?

Cette complexité est nuisible à la promotion du jeu, elle entraîne forcement l’incompréhension des joueurs (parfois des arbitres), ce qui engendre un sentiment d’injustice (mettez-vous à la place d’Est-Ouest dans le cas étudié) et par la même des situations conflictuelles. Dommage.