Rubriques de Michel MAITRE - Bridgeur n° 666 - 15 septembre 1994
L'arbitrage est-il le même partout et pour tous ?

Michel Maître, arbitre national
 

Existe-t-il des types d'arbitrage différents, locaux, régionaux ou même à la tête (ou au classement) du client ?
Que dire de l'arbitrage "club", également surnommé "arbitrage maison" ?
Je vous vois prêts à bondir, le sujet est aussi délicat que controversé. Calmons les esprits (démarche fréquente pour un arbitre) et examinons les différentes situations possibles ainsi que le matériel dont dispose l'arbitre.
 

Les outils : le code et le règlement des épreuves.

  1. Le code. Il regroupe toutes les règles du jeu, unique et international. Il doit répondre à toutes les questions (au fait, l'avez-vous lu?).
    Jusque là tout va bien, mêmes règles partout et pour tous.
  2. Le règlement des épreuves (vous l'avez lu aussi !), un ensemble de textes mis au point par la FFB (donc d'usage uniquement national) qui décrit le déroulement théorique des différents types d'épreuves, précise certains points d'arbitrage, quantifie des pénalités possibles, définit des systèmes et des conventions, précise les circonstances (catégories d'épreuves) où ceux-ci sont autorisés ou interdits.

Rendons grâce, au passage, aux créateurs et écrivains du code, aux instances fédérales. Sans ces documents de base, le déroulement normal du jeu de compétition serait aujourd'hui pratiquement impossible, compte tenu des multiples systèmes et conventions.

Néanmoins, la situation se complique : ce qui est autorisé ici ne l'est pas là, ce que vous pouvez jouer en match par quatre vous sera interdit en tournoi par paires, etc.

Voyons maintenant les circonstances :

  1. championnat de haut niveau, d'Europe ou du monde,
  2. festival international,
  3. compétition de comité, finale de ligue ou nationale,
  4. tournoi de régularité ou simultané en club.

Pour les trois premiers cas, l'arbitre dispose d'une commission d'appel, composée de joueurs de haut niveau. Son travail en est grandement facilité, il appliquera le code à l'état pur, dans son sens le plus strict. Le camp pénalisé pourra, s'il le juge opportun, faire usage du droit d'appel que l'arbitre lui aura signifié.

L'arbitre arbitrera selon les lois (le code), la commission d'appel jugera selon l'équité.

L'arbitre et la commission d'appel travaillent en complément l'un de l'autre, il ne peut y avoir de contradiction entre eux; l'un prend une décision selon les lois pour permettre au jeu de continuer, il ne juge pas, il applique L'autre, discute, soupèse, introduit l'élément humain et rend un verdict.

Les arbitres n'éprouvent aucune contrariété de voir leurs arbitrages confirmés, cassés, allégés ou alourdis, leurs compétences ne sont pas en cause. Antérieurement, en l'absence de documents de référence, leur travail était autrement plus compliqué.

Dans le dernier cas (tournoi ou simultané dans un club) l'arbitre est seul ; il devra remplir les deux fonctions, il arbitrera selon la loi mais sa décision finale sera celle d'une commission d'appel. Il devra faire appel à sa connaissance du jeu, à son jugement. Si le tournoi est "animé" je vous assure que cette double tâche n'est pas facile à remplir.

Notons toutefois que 80 % des cas d'appel à l'arbitre sont dus à des erreurs matérielles : renonce, jeu ou enchère hors tour, carte manquante, etc. Il suffit, pour régler ces questions, de connaître ou de consulter le code, c'est-à-dire des arbitrages ne pouvant donner lieu à contestation.

Pour mieux vous convaincre, arbitrons ensemble à la table.

Nord Est Sud Ouest
passe passe passe 1
contre* 2 SA passe 3 !
passe 3 SA

* Contre d'appel (après avoir passé).
! Longue hésitation reconnue.

Nord-Sud appellent l'arbitre et font des réserves sur la donne, en particulier sur l'enchère finale d'Est après l'hésitation d'Ouest.

L'arbitre fait jouer, résultat : 3 SA juste fait. Nord-Sud maintiennent leurs réserves.

Examinons les mains :

D V x x 10 x x
x A x x
A D V x x x      R 10 x
R x A x x x

1ère situation

L'arbitre applique la loi, Est a reçu une information illicite due à une variation de tempo reconnue. Cette information est de nature à avoir pu influencer la décision de l'enchère finale.

Arbitrage : contrat ramené à 3 , 11 levées ; la paire Est-Ouest, informée de ses droits, fait appel ; la commission d'appel écoute les arguments, rend un jugement. L'arbitre a constaté l'infraction, appliqué la loi, sans juger : ce n'est pas son rôle dans ce type de compétition.

2ème situation

Il est 18 h 30, les résultats des " rondes de France " doivent être saisis avant 19h, pas la moindre possibilité de commission d'appel, mêmes faits reconnus, même séquence, même résultat.
Est, dûment " cuisiné ", nous dit : " Dès que mon partenaire répète ses Carreaux au palier de 3, il en a six, avec R10x à Carreau et deux As extérieurs je déclare la manche à Sans-Atout, même si l'ouverture est faible ".

Arbitrage : résultat maintenu dans la proportion de 4/5, c'est-à-dire la moyenne des notes de quatre fois 3 SA déclaré et une fois 3 Carreaux.
Pourquoi quatre fois sur cinq seulement? Parce que Si l'enchère est " quasi " évidente, elle ne l'est que " quasi ", l'hésitation apporte incontestablement un renseignement qui facilite la décision d'Est.

En résumé, je vous ai une fois interdit et une fois autorisé à jouer 3 SA, dans la même séquence et avec la même infraction aux lois.

Qu'en dire ?

Que dans le premier cas, vous ne devrez pas vous satisfaire de l'arbitrage rendu à la table. Si vous êtes un joueur aguerri, je sais que vous irez en appel, si d'évidence vous ne l'êtes pas... je vous rappellerai vos droits.

Donc l'arbitrage à la table pourra ne pas être le même dans toutes les circonstances, en revanche le score final sur la donne devrait l'être.

Pour vous rassurer, j'ajouterai que la FFB organise des stages, forme des arbitres, leur fait passer des examens et leur décerne des diplômes. La formation étant commune, il ne peut y avoir d'arbitrage local ou régional.

Vous n'êtes pas convaincu ? Vous pensez que les renonces du cousin de l'arbitre sont moins consommées que les vôtres, que le sous-préfet peut, en toute impunité, reprendre la carte qu'il avait manifestement jouée, que les cartes pénalisées principales ne le sont principalement que pour vous...

Je n'en suis pas sûr, mais... admettons !

Que faire alors ?

Demandez à l'arbitre qu'il vous précise la loi qu'il applique.

Faites-le sans hésiter si vous pensez que la loi n'est pas appliquée ou que ce n'est pas la bonne loi. Après tout, tout le monde peut se tromper, même l'arbitre !

Je vous rappelle que TOUTES les décisions d'arbitrage sans aucune exception doivent clairement s'appuyer sur une loi précise du code. Bien sûr, mieux vous connaîtrez les textes, mieux vous serez en mesure de vous défendre.

Nous éviterons ainsi d'entendre :

" L'arbitrage au comité est beaucoup plus sévère qu'au club ".
" Au festival de X... j'ai eu 40 % sur la donne alors qu'au club j'avais 60 pour la même chose ".
" Evidemment, " il " donne toujours raison aux premières séries ".
" Avec vous j'ai toujours tort ; dans mon club... ".

Je risque de déplaire mais je pense que certains clubs et certains arbitres sont en partie responsables de cet état d'esprit.

Certains croient - disons croyaient - que de ne pas donner de pénalités, marquer des 60/60 en cas de désaccord, ne pas compter les renonces, faisait plaisir à l'habitué du NS 3 (près de la cheminée) et qu'ainsi sa clientèle serait fidélisée, qu'ayant toujours raison dans son club, il n'irait pas risquer d'avoir tort dans le club concurrent...

Ces pratiques sont, heureusement, en voie de disparition. Les qualités par lesquelles un club fidélise ses membres sont avant tout l'accueil, l'ambiance, la qualité et la propreté des locaux, les prix pratiqués...

Les clubs sont, par leurs écoles et leurs enseignants, le creuset du bridge ; ils se doivent d'être exemplaires...

N'oublions pas que même les coupes de régularité sont homologuées et donnent droit à des points d'expert, que les rondes de France doivent être jouées partout selon les mêmes règles et arbitrées selon le code. Distribuer des 60/60 qui devraient être des 40/40 fausse les résultats. Aucune raison et surtout pas commerciale, ne peut justifier ces pratiques.

Evidemment lorsque "Monsieur NS3 près de la cheminée" devient F014 au festival de ..., il est assez désorienté, surpris de ce qui lui arrive : on le pénalise, et même - injure suprême - on prétendrait le priver d'enchères " LUI ... NS3 " sous prétexte que son partenaire, étourdi, a fait " il ne sait quoi " ce qui, d'ailleurs, " n'avait aucune importance " et " ne changeait rien à la donne ".

Redevenons sérieux, Monsieur NS3 n'existe pas. Comment ? Vous dites qu'il vous semblait pourtant... Ah bon...

Je pense que les arbitres dans les clubs ont un travail difficile, ils doivent APPLIQUER, et surtout EXPLIQUER, leurs décisions. Les joueurs peuvent prendre, aussi facilement, de bonnes que de mauvaises habitudes.
A l'heure où chacun déplore que la FFB soit saisie de nombreux dossiers " délicats " (ou plutôt indélicats), les arbitres et les dirigeants de club peuvent faire beaucoup pour une saine évolution de notre jeu.
Pénalité pour beaucoup de joueurs veut dire punition, les arbitres doivent faire évoluer cette idée dans le sens de " l'équité rétablie ", donc faire comprendre, expliquer, justifier, donner l'habitude de jouer dans le respect des règles.

Les joueurs de classement élevé ont-ils plus souvent raison ?

Il est certain qu'ils ont une longue et meilleure pratique du jeu, parfois même ils connaissent le code ; en conséquence, leurs appels à l'arbitre seront plus justifiés (parfois...). Ce qui est sûr, c'est qu'ils défendront mieux leur cause ; non seulement ils attireront l'attention sur l'infraction, mais, de plus, ils argumenteront mieux sur les conséquences et le dommage subi.
Ils ont sur vous un avantage net. Essayez d'y remédier.

Quelques conseils aux joueurs de bridge

  1. Ne vous énervez pas

(même Si vous avez envie de...)

  1. Expliquez clairement l'infraction.
     
  1. Ne donnez pas d'information illicite.

Ne dites rien de votre jeu du type : " j'ai une enchère évidente si... " Cela se retournerait contre vous ou rendrait la suite du jeu et l'arbitrage impossible.

  1. Réservez vos droits

(si l'arbitre fait continuer les enchères et le jeu).

  1. Ne perdez pas vos droits.

Dès que vous faites action de jeu après une infraction du camp adverse, vous risquez de perdre vos droits, donc appelez l'arbitre tout de suite, ne couvrez pas un jeu illégal, ne couvrez pas une enchère insuffisante ou hors tour... même et surtout si l'on vous dit " Continuons, nous verrons plus tard " (souvent plus tard = trop tard). (Loi 11 A et Loi 11 B).

  1. N'acceptez aucun arbitrage d'un joueur de la table

(Loi 10 A et Loi 10 B). Mr X... est très bien intentionné ? Ou pas? Il connaît les règles... parfait, il sait que " les joueurs ne doivent pas s'arbitrer eux-mêmes ", que " seul l'arbitre a le droit d'imposer des pénalités ", " qu'il peut autoriser ou annuler toute imposition ou suppression de pénalité faite par les joueurs sans ses instructions ".
Clair et précis, non ? Donc ne vous laissez pas faire.

  1. Rappelez vous-même l'arbitre.

Vous avez fait des réserves ? Parfait, la donne est maintenant terminée, si vous ne rappelez pas l'arbitre, il ne reviendra pas, c'est à vous de signifier que vous maintenez vos réserves. L'arbitre, qui ne joue ni avec ni contre vous, n'a pas le droit de vous y encourager en revenant de lui-même à la table.

  1. Analysez le dommage et ses conséquences.

Un exemple simple et vécu : tournoi par paires, milieu de séance. Après une ouverture de 1 SA en Sud, le camp adverse est intervenu à 2 et après diverses enchères, le contrat final est de 3 SA. A la fin de la donne, comme il se doit (Loi 75 D 2), Ouest révèle que son partenaire a indiscutablement donné une mauvaise explication de l'enchère de 2 . L'arbitre est appelé et les faits sont constatés. Sud déplie la feuille ambulante et constate que les 10 levées qu'il a réalisées valent environ 60%, il ne fait aucune réserve, tout le monde est content et l'arbitre s'en va. 0K ?

Ah, j'oubliais... Un détail... Est-Ouest sont vulnérables, si Nord-Sud avaient eu la bonne explication, Est-Ouest ne pouvaient pas s'en sortir à moins de 800 ou 1100, contrés au palier de 2 ou de 3.

Encore une fois, si 430 vous donne satisfaction, ce n'est pas à l'arbitre de vous inciter à demander 1100, c'est à vous de le faire.

  1. Utilisez votre droit d'appel.

Si vous pensez devoir le faire, même si l'arbitre est un ami, même si l'adversaire, votre cousin, marche à plus de 60 %, et si vous pensez être dernier décollé... d'ailleurs en ne le faisant pas c'est peut-être votre belle-mère que vous empêchez de gagner...